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Une vie à Arles

Le 20 février 1888, Vincent van Gogh arrive à Arles, après avoir passé deux années à Paris, au cours desquelles sa peinture s’affirme de manière innovante.

Pendant plus de quatorze mois, il réalise à Arles une multitude de tableaux et de dessins dont la plupart sont aujourd’hui considérés comme des œuvres d’art majeures de la fin du XIXe siècle.

Las de la vie trépidante des villes et du climat rigoureux qui règne dans le Nord, Van Gogh met le cap vers le Sud pour vivre sous des latitudes plus clémentes, et surtout pour y trouver la lumière et les couleurs de la Provence qui lui permettront de perfectionner sa nouvelle technique. Son frère Théo raconte qu’il avait l’intention « d’aller d’abord à Arles, histoire de se repérer, puis de pousser ensuite jusqu’à Marseille. »

Si, à son arrivée, le climat est exceptionnellement froid, au bout de quelques semaines, le temps devient plus clément. Van Gogh parcourt alors la région à pied et découvre, à travers la diversité des paysages, l’objet d’une inspiration fertile pour ses tableaux. À l’instar du japonisme qui se développe en occident, il acquiert au fil des années une importante collection d’estampes, dont il espère retrouver en Provence la lumière, les couleurs et l’harmonie. Ce qu’il y trouve le comble pleinement. Il se met à peindre, outre le Pont de Langlois, des tableaux d’arbres en fleurs très japonisants et pendant l’été, de nombreuses scènes de moisson.

L’art du portrait est très tôt l’un des genres phares de ses tableaux. À Arles, il décide de moderniser le genre en choisissant pour sujet le semeur. Outre les portraits, il peint également des natures mortes. « Je suis en train de peindre avec l’entrain d’un Marseillais mangeant la bouillabaisse », confie-t-il à Théo.

En mai, Van Gogh emménage dans la maison jaune où il installe son atelier. 
Il rêve de créer une communauté d’artistes où d’autres peintres pourraient se joindre à lui pour travailler.

Le 23 octobre, Paul Gauguin arrive à Arles.
 Les deux hommes vivent et peignent ensemble pendant deux mois. S’ils connaissent une période de grande inspiration mutuelle, après quelques temps, ils s’affrontent en raison d’une incompatibilité d’humeur et de divergences artistiques.

Le 23 décembre, sous le coup d’une violente crise, probablement signe précurseur de sa maladie, Van Gogh se tranche le lobe de l’oreille gauche. Gauguin quitte Arles, et Van Gogh voit s’envoler son rêve d’atelier collectif.

Après une seconde crise en février 1889, il est hospitalisé. Il continue de peindre pendant quelques mois puis se fait volontairement interner à l’hôpital psychiatrique de Saint-Rémy-de-Provence le 8 mai 1889.

« Le Pont de Langlois à Arles, avec dame au parapluie ». Arles, mai 1888, huile sur toile 49,5 x 64 cm. Cologne, Wallraf-Richartz-Museum

Un paysage d’Arles

Au cours de sa vie, Van Gogh a séjourné dans plusieurs villes – La Haye, Anvers, Paris, Arles –, et a trouvé en chacune d’elles une source d’inspiration. Hormis quelques dessins d’Anvers, il a toujours manifesté dans son œuvre un certain désintérêt pour le patrimoine antique.

Avec Arles, il en va de même. À l’exception des sarcophages des Alyscamps et de la cour de l’hôpital où il est soigné lors de sa dépression, aucun monument ancien ne figure dans ses peintures. Les sujets de ses tableaux sont issus de l’univers ordinaire qui l’entoure : un viaduc, des ponts, le plus connu étant l’ancien pont de Trinquetaille avec sa structure métallique. Les berges du Rhône, dans la vieille ville, à l’intérieur des remparts, trouvent également leur place dans son œuvre tout comme le canal de la Roubine du roi, au nord-est d’Arles.

Il se découvre une passion pour les parcs et les jardins, qu’il peint en abondance à Arles. Le jardin public, voisin du théâtre romain et qu’il appelle « Le jardin du poète », le charme tout particulièrement et lui inspire quatre tableaux.

Plusieurs de ses paysages urbains sont désormais célèbres.
 La petite maison de la Place Lamartine où il vécut (qui n’existe plus aujourd’hui) est le sujet central du tableau communément intitulé La Maison jaune, bien que Van Gogh lui préférât le nom de La Rue.
 On lui doit également une œuvre tout à fait remarquable qu’il peint de nuit en installant son chevalet près du Café de la Nuit, sur la Place du Forum : le café semble baigné d’une lumière jaune sur fond de ciel étoilé.

Pendant le séjour de Gauguin à Arles, les deux artistes réalisent plusieurs tableaux des Alyscamps, situés en bordure de la vieille ville. Tous représentent des scènes d’automne très évocatrices de l’atmosphère régnant dans cette ancienne nécropole.

Alors qu’il est interné pour la seconde fois à l’hôpital d’Arles, Van Gogh peint et dessine la magnifique cour de cet Hôtel-Dieu (XVI–XVIIe siècle), immortalisant à jamais son environnement, au cours d’une période douloureuse de sa vie d’artiste.

Une vue d’Arles figure parmi de nombreux autres tableaux et dessins, tel Le champ de fleurs près d’Arles, où des iris dominent le tableau au premier plan.

« La Maison jaune (« La Rue ») », 1888. Huile sur toile, 72 x 91,5 cm. Van Gogh Museum, Amsterdam (Vincent Van Gogh Foundation)

La campagne arlésienne

Il est aisé de reconnaître les lieux marquants de la campagne arlésienne peints par Van Gogh mais on ne peut cependant établir avec certitude la topographie de tous ses paysages. Depuis cette époque, en effet, la région a énormément changé : les vergers et les champs de blé ont disparu ainsi que les fermes et d’autres éléments du décor présents dans ses tableaux.

Situé à deux kilomètres au sud d’Arles, le Pont de Réginelle (ou Réginal), communément appelé le Pont de Langlois en hommage à l’ancien pontier, fut un sujet particulièrement apprécié de Van Gogh durant les mois de mars et de mai 1888. On le retrouve dans plusieurs de ses tableaux et dessins.

Sa forme élégante et sa structure élancée répondaient à la perfection à l’atmosphère harmonieuse des estampes japonaises que Van Gogh cherchait tant à exprimer dans ses œuvres. Le pont a été détruit depuis et remplacé par un ouvrage similaire.

À cinq kilomètres au nord-est d’Arles, l’abbaye médiévale de Montmajour, dont la construction s’est étalée sur plusieurs siècles, est perchée sur une éminence rocheuse qui culmine à 43 mètres. Karl Baedeker la mentionne dans son guide du Sud de la France, tout en précisant que malgré son éloignement, il est indispensable d’aller la visiter.

Van Gogh, que les longues marches dans la campagne n’ont jamais rebuté, la découvre peu de temps après son arrivée en Arles. Bien que peu intéressé par les monuments anciens, il est fasciné par ces ruines qui se dressent au milieu d’une vaste plaine et qu’entoure un paysage impressionnant. Au cours de la deuxième semaine du mois de mai 1888, l’abbaye et ses environs deviennent le sujet d’une série de dessins, connus sous le nom de « la série Montmajour ». Ces dessins de taille moyenne sont suivis par une deuxième série qu’il lui consacre en juillet. À cette occasion, Van Gogh travaille sur des feuilles plus grandes et exécute six dessins, à l’apogée de son art.

Montmajour domine la plaine de La Crau, qui a également inspiré l’artiste, et que l’on peut voir dans deux de ces six dessins. Dans son célèbre tableau intitulé La Moisson, dont il réalise aussi trois dessins, il représente un champ de blé labouré avec, au centre de la toile, comme le point focal de son œuvre, une charrette bleue. Pêcher en fleurs à La Crau est l’un des derniers tableaux qu’il peint dans les environs d’Arles.

« La Moisson », juin 1888. Huile sur toile, 73 x 92 cm. Van Gogh Museum, Amsterdam (Vincent van Gogh Foundation)

La lumière provençale

Van Gogh, qui ne connaît pas le Sud de la France, décide de quitter Paris en février 1888 pour s’installer à Arles, attiré par la chaleur et la lumière provençale.

L’artiste n’est pas le seul à rechercher cette lumière si particulière, qui offre des possibilités de coloris bien plus vastes que celles, souvent froides, des régions du Nord. Claude Monet part peindre à Bordighera, sur la Riviera italienne, en 1884, et dès 1888, se fixe pendant un temps à Antibes. Paul Cézanne vit et travaille dans sa ville natale d’Aix-en-Provence. Adolphe Monticelli, que Van Gogh admire énormément, séjourne à Marseille alors que Paul Gauguin va en Martinique en 1887 pour peindre à la lumière des tropiques. Il est fort probable également que Paul Signac ait vanté la qualité de la lumière provençale à Van Gogh, ainsi que Toulouse-Lautrec, natif d’Albi.

Si Van Gogh espérait retrouver dans cette lumière l’atmosphère des estampes japonaises, il est on ne peut plus satisfait. « Le pays me paraît aussi beau que le Japon pour la limpidité de l’atmosphère et les effets de couleur gaie », dit-il à Emile Bernard. Nombre de ses lettres, écrites alors qu’il se trouve à Arles, glorifient cette lumière extraordinaire et les couleurs nouvelles qu’elle fait apparaître, qu’il découvre avec passion.

Les tableaux que Vincent exécute à Arles sont souvent associés à la couleur jaune, laquelle joue un rôle primordial dans sa production à cette période. Il vénère littéralement le jaune du soleil de la Provence, et la teinte soufrée et dorée de sa lumière. Celle-ci inonde le paysage et lui permet de peindre avec les couleurs franches et puissantes qu’il affectionne tant. D’après lui, l’artiste des temps modernes sera un coloriste comme le monde n’en a jamais connu. Professant que la lumière provençale est d’une importance capitale pour une palette moderne, il s’éloigne plus que jamais des gris de sa palette « hollandaise », imprégnée de la lumière du Nord.

Bien que les longues journées qu’il passe sous un soleil brûlant le fatiguent parfois, il sent que la lumière et la chaleur sont bénéfiques à la santé et à l’humeur. Le soleil, qui joue un rôle clé dans tant de ses tableaux peints à Arles, fait bientôt figure de divinité. « Ah, ceux qui ne croient pas au soleil d’ici sont bien impies. »

« Ah, ceux qui ne croient pas au soleil d’ici sont bien impies. » Vincent Van Gogh

Couleurs et coups de brosse

Au cours de sa période dite « hollandaise », Van Gogh utilise une palette aux coloris foncés, où le gris domine, et applique la peinture à coups de brosse expressifs et puissants. Le jeune artiste a travaillé les contrastes et étudié la théorie des couleurs élaborée par Eugène Delacroix. Mais sa palette sombre l’empêche de mettre celles-ci à profit.

A son arrivée à Paris au début de l’année 1886, il comprend qu’il a fait fausse route. Une nouvelle commande et l’utilisation de couleurs tranchées lui permettent de travailler à la fois des contrastes subtils (comme le jaune et le vert) et surtout de jouer avec des couleurs dont l’opposition est complémentaire: rouge/vert, bleu/orange ou jaune/violet. A la même époque, il s’essaie à la vivacité de la peinture impressionniste et aux différents styles et techniques de ses amis avant-gardistes. Il admire les œuvres d’Adolphe Monticelli, qui peint avec de forts contrastes colorés et de gros empâtements. Les estampes japonaises lui apprennent également à se servir d’une large gamme de couleurs vives.

Pétri de toutes ces nouvelles influences et découvertes, Van Gogh part pour Arles avec l’intention d’y perfectionner sa technique. La lumière provençale le pousse à oser des couleurs encore plus tranchées. Delacroix n’est jamais très loin. Quant à son utilisation des couleurs complémentaires, elle lui permet de rendre le mariage de celles-ci encore plus expressif. « Le Semeur », qu’il peint en juin 1888, est une tentative ambitieuse de réaliser une version plus moderne du tableau de Millet par l’utilisation de la couleur. Van Gogh y oppose le violet du champ au jaune du ciel.

Il dira à propos du tableau « Le Café de Nuit », qu’il peint en septembre 1888:

« J’ai cherché à exprimer avec le rouge et le vert les
terribles passions humaines ».

Van Gogh s’illustre parmi ses amis avant-gardistes par la force de son empâtement. Si à Pont-Aven des artistes tels que Gauguin et Bernard, entre autres, travaillent également avec toute une gamme de couleurs franches, leur coup de brosse est plat et plus atténué. Les tableaux que Van Gogh exécute à Arles diffèrent désormais complètement de ceux de ses amis artistes.

Dans la plupart de ses œuvres majeures, un rôle proéminent est donné à l’application de la peinture. Il a parfois recours à des coups de brosse plus structurés, comme dans l’arrière-plan du tableau « Nature morte aux tournesols ». Pour d’autres tableaux, il applique la peinture de façon plus spontanée, bien que de manière toujours contrôlée et expressive.

Le Café de Nuit, Place Lamartine, Arles. Septembre 1888. Huile sur toile, 70 x 89 cm. Yale University Art Gallery

Les dessins

Van Gogh est généralement perçu comme l’un des plus grands dessinateurs de l’ère impressionniste et postimpressionniste. Si nombre de ses premiers dessins sont quelque peu maladroits, cent fois sur le métier, il se remet à l’ouvrage. Il consacre les trois premières années de sa carrière d’artiste à dessiner. Une bonne maîtrise du dessin était généralement considérée comme le point de départ essentiel d’une carrière de peintre, et Van Gogh chérit ce principe.

Il utilise différentes techniques pour dessiner – crayons gras, craie noire, mines de plomb et autres minéraux foncés –, et peint également beaucoup d’aquarelles. Mais c’est en dessinant à la plume que son véritable talent se manifeste. Sa maîtrise extraordinaire de cet outil culmine à Arles quand il découvre un type de roseau qu’il peut tailler et transformer en plume. La plume lui permet de réaliser des dessins où les hachures, les traits ondulants et les points sont d’une précision sans faille et d’une extrême vivacité.

Les premiers dessins qu’il exécute à Arles datent de mars 1888. Le Japon est alors très présent dans son esprit : ses dessins ont dans un premier temps le même format que les estampes japonaises de sa collection. Le coup de crayon des artistes japonais est un modèle pour lui : « Le Japonais dessine vite, très vite, comme un éclair. C’est que ses nerfs sont plus fins, son sentiment plus simple. » Il peint également plusieurs aquarelles avec de larges aplats de couleur, inspirées des estampes japonaises gravées sur bois.

Van Gogh dessine plusieurs portraits, comme celui d’un jeune zouave et du facteur Joseph Roulin. Mais ce sont surtout les dessins de paysages qui dominent sa production. À Montmajour, face à la vaste plaine de La Crau, il réalise deux séries de paysages à la plume de roseau, l’une sur des feuilles de petit format, l’autre sur de grandes feuilles. La dénommée « seconde série de Montmajour » se révèle exceptionnelle. C’est également sur la plaine de La Crau qu’il travaille ses scènes de moisson, sujet de nombre de tableaux et dessins de l’été 1888.

Il exprime le lien très fort qui existe entre ses dessins et ses peintures en créant parfois des « dessins après tableaux » qu’il envoie par séries à ses amis John Russell et Emile Bernard, ainsi qu’à son frère Théo.

Le Rocher de Montmajour avec des pins, Arles, juillet 1888
Le Rocher de Montmajour avec des pins, Arles, juillet 1888.
Crayon, plume, calame, pinceau et encre noire sur papier vélin, 49,1 x 61 cm. Musée Van Gogh, Amsterdam (Fondation Vincent van Gogh)